Mot de Frank Heibert

Visage de feu est une épreuve du feu

Marius von Mayenburg a écrit un texte intense, effrayant et étrange. S’y mélangent des forces archaïques comme le feu, la violence, la haine et la première sexualité, dans un langage d’une immédiateté étonnante et d’une poésie menaçante. Pour ce faire, von Mayenburg a puisé dans la tradition des contes de fées typiques de la culture allemande afin de créer une atmosphère sinistre. Il a aussi puisé dans des sources dialectales (des traces homéopathiques du Bavarois) pour donner à cette œuvre son ton angoissant. La famille comme berceau de monstres, c’est une idée plus moderne qui complète l’univers de cette pièce, analogue aux films d’horreur américains où l’ennemi se révèle souvent quelqu’un que l’on croyait bien connaître : le chum, l’enfant, l’ami. Mais chez von Mayenburg, on oublie le temps et le lieu exacts de la pièce : tout en étant très allemande, elle est d’une universalité qui fait frissonner.

Comment gérer le transfert d’un tel texte dans une culture autre? Le défi est surtout linguistique. Est-ce que la langue cible permet les moyens de style utilisés par von Mayenburg, et surtout, dans quelle mesure la tradition théâtrale de la culture réceptrice les résiste-t-elle à l’œuvre originale? C’est là une espèce d’épreuve du feu. Pendant le travail de traduction avec Joël Beddows, le metteur en scène, nous avons regardé de près les traductions de Visage de feu faites à Paris et à Londres, et c’était fascinant de voir combien les traditions théâtrales française et anglaise ont orienté ces traductions. De la version française se dégage un respect de la rhétorique théâtrale traditionnelle; elle n’a plus les pieds dans la boue de l’arrière-province. Quant à la version anglaise, elle semble celle de jeunes rebelles de la jungle urbaine, des « angry young men » qui se révoltent contre des parents réactionnaires. Les racines archaïques de la version allemande ne s’y trouvent plus.

Or, au cours de notre travail, nous avons constaté à quel point il existe un terrain esthétique au Canada apte à permettre l’expression du monde de von Mayenburg, tant sur le plan linguistique que sur le plan théâtral.

Après de nombreuses expériences de traduction, j’en dois une nouvelle – bien particulière et enrichissante – à Joël Beddows, avec qui j’ai eu une belle collaboration.

Et j’ai hâte d’être sur place pour voir le spectacle!

Frank Heibert, Berlin